Si le Festival In s’est achevé le mardi 26 juillet, le Off se poursuit jusqu’au 30 juillet, avec ses plus de 1500 pièces chaque jour ! Coup de projecteurs sur deux spectacles coup de cœur !
 

“Le rêve d’un homme ridicule” au Théâtre de l’Etincelle


Quand dans la cour d’honneur du Palais des papes “Le moine noir” d’après Tchekov mis en scène par le dissident russe Kirill Serbrennikov, diffracte l’état de folie en version IN, “Le rêve d’un homme ridicule” de Fiodor Dostoïevski interprété par le comédien Jean-Paul Sermadiras, dans le charmant petit Théâtre de l’Etincelle, nous précipite en version OFF dans l’abîme spirituel d’un fol en Dieu.
Il fait nuit. Alors même qu’il est au bord du suicide, la voix d’une enfant qui pleure sa mère défunte détourne un homme de son geste fatal.  Gagné par le remord de n’avoir rien fait pour cet être abandonné, l’homme sombre dans des réminiscences dantesques qui, de cercles en cercles, le conduisent jusqu’aux confins d’un paradis perdu où seul règne la bonté. Il s’y serait complu, si sa propre présence en ces lieux, se confondant avec celle d’un anti-Christ, ou peut-être même du Christ lui-même, n’y déchaînait pas le chaos,
Avec une économie de moyen, un banc et quelques hardes, Jean-Paul Sermadiras incarne cet homme avec la force et l'émotion nécessaires pour rendre tangible et singulier ce cauchemar ; non pas un simple songe, mais une violente révélation de l’âme humaine qui, confrontée à son désir de faire et de vivre le Bien, découvre ce qui, tapi à la porte de son coeur, plonge le monde dans une nuit centuple d’épaisseur.

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L’invention de nos vies ou le mensonge sans retour ?


En une 1h30 de spectacle mené à un rythme déchaîné, on vit une grande épopée, passant alternativement de New-York à Paris, d’une communauté juive à une famille musulmane, en suivant deux vies réunies en un seul homme, liées par une succession de  mensonges. Une tentative, en somme, d’échapper à sa vie pour en inventer une autre, celle qui donnerait la certitude de vivre véritablement, pleinement. « Avec un mensonge, on va très loin, mais c’est sans espoir de revenir en arrière. » nous apprend, dans une réplique, un proverbe juif. L’intrigue sera donc de découvrir quand le mensonge va loin, si c’est pour nous amener plus haut ou plus bas, dans un « sans retour » qui enchaîne ou libère ! Dans cette mise en scène très efficace signée Johanna Boyé, il y a une certaine parenté avec celle de Wajdi Mouawad qui, en 2009, avait ravi la cour d’honneur avec sa trilogie « littoral, incendie, forêts ». Il y a surtout, au milieu d’une distribution très soudée, l’extraordinaire interprétation de Valentin de Carbonnières, qui avec une fougue contagieuse nous entraîne dans sa course effrénée à sauver sa vie. Un vrai plaisir de théâtre !
L’invention de nos vies au Théâtre Actuel

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« Surexposition » ou le destin de Patrick Dewaere surexposé


Difficile d’évoquer sur la scène d’un théâtre le destin tragique d’un comédien, en une véritable icône d’une époque en quête de libertés sans interdit, sans tomber dans un pathos ou un parti-pris superficiel qui raterait l’intention initiale. C’est donc sur ce pari difficile et exigeant, comme sur un fil de crête, que la cie du Souffleur de verre a su se (re)tenir dans un texte de Marion Aubert, mis en scène par Julien Rocha au théâtre de l’Oulle. En visitant sur scène, non pas tant la carrière mais les années de Patrick Dewaere, on croise, des séquences des « valseuses » de bertrand Blier à la troupe du « café de la gare », les désirs d’une jeunesse découvrant les fulgurances de l’amour libre mais aussi du collectif, avec les premiers pas d’un comédien encore timide, déjà enfermé par une histoire familiale trop lourde. Elle nourrira une violence sourde que « série noire » donnera à voir. C’est un miroir de ces années-là, où un monde ancien s’effondrait laminé par ses propres fermetures, mais aussi un miroir inversé de nos années actuelles, menacées de désincarnation.
Cote distribution, Johanna Nizard est formidable, passant notamment de Mado Maurin à Jeanne Moreau ou Annie Girardot avec talent et jouissance. Elle entraîne avec elle ses acolytes, dans un jeu où la théâtralité assumée, des loges à aux plateaux de théâtre ou décors de cinéma, donne un kaléidoscope des lieux et liens du comédien. On se prend aussi à penser que ce jeune Dewaere n’avait sans nul doute ni la carapace ni la peau suffisamment dure pour encaisser cette vie sous les projecteurs.
Son suicide marquera un arrêt brutal et se douloureux pour toute une génération, Surexposée.

Frères Thierry Hubert et Rémy Vallejo