Comment et pourquoi l’image de l’enfant Jésus a évolué dans l’art occidental ? La réalisatrice Lucile Bellanger est partie à la découverte de deux millénaires de représentations nouées par les artistes autour de Jésus, enfant. Entretien avec une passionnée d’art et de patrimoine.
 

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Et Jésus devint enfant

Quel est votre projet dans ce film sur Jésus enfant ?
J’ai choisi de filmer à hauteur d’enfance en me mêlant à un groupe d’enfants du caté terminant d’installer la crèche quelques heures avant Noël. Ils déposent la statue de Marie, de Joseph, les Rois mages, l’âne et le bœuf et enfin, l’enfant Jésus. Sa petite taille et son regard de poupon le rendent très proche. Pourtant il n’a pas toujours été figuré comme un petit homme. Jusqu’au XIe siècle, l’enfant Jésus est majestueux, debout comme un empereur miniaturisé. Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour lui trouver les traits d’un bambin du peuple. L’image fascinante de l’enfant Jésus a beaucoup évolué au fil des siècles. J’ai eu besoin de dérouler la trame des représentations depuis deux mille ans pour comprendre et expliquer une évolution à la fois théologique et esthétique autour du mystère inhérent à la double nature de cet enfant qui est homme et Dieu. Comment représenter l’incarnation ? Les artistes balbutient avec cette gageure. Et leurs approches successives déplient les langes qui ceignent ce mystère central du christianisme. Pour autant, mon documentaire reste un film de Noël, il n’a rien d’un sujet savant. C’est un sujet de découverte à travers l’œil des plus jeunes et l’éclairage circonstancié de spécialistes passionnés…

Comment avez-vous procédé ?
Le sujet est complexe et pléthorique. Je fouille depuis presque un an les musées et les églises européens à l’affût des représentations les plus remarquables de Jésus enfant. J’ai mené une véritable enquête. D’abord à Rome pour filmer la plus ancienne image du Christ dans les catacombes de Priscilla. Il s’agit d’une fresque datée de la première moitié du IIIe siècle. On discerne une mère en train d’allaiter son enfant. J’ai filmé ce stuc dans la pénombre d’une galerie souterraine. Cette œuvre paléochrétienne est inhabituelle et appelle un décryptage. Ensuite direction Ravenne, trésor de la mosaïque byzantine. On y découvre un enfant Jésus qui est un homme en miniature dressé sur le genou de sa mère. Contemporaine du concile d’Ephèse conférant à Marie le titre de « mère de Dieu », ce décor est dépourvu de réalisme. Je fais alors appel à l’explication d’experts pour décoder les symboles contenus dans cette riche image dorée. Puis, je remonte ainsi une trame chronologique en passant par les églises romanes d’Auvergne, la statuaire gothique jusqu’à la bascule du Quattrocento. Avec Cimabue et Giotto, l’art sacré s’arrondit, s’humanise et pose les jalons d’une nouvelle manière de peindre. C’est aussi l’époque de la première crèche vivante sous l’impulsion de saint François à Assise en 1223. Dès lors, les Nativités deviennent plus réalistes et peu à peu se développe le culte de l’enfant Jésus. L’enfant est désormais vénéré et nu ! J’interroge cette nudité. Je me demande aussi pourquoi les bébés de la Renaissance flamande sont si laids. Rien n’est évident. Toutes ces représentations sont des feuilletés à interpréter à la lumière des styles, des époques et de l’évolution du discours théologique. C’est passionnant.

En 2023, que peut-on découvrir de neuf sur l’enfant de la crèche ?
J’ai découvert par exemple que cet enfant attendrissant n’existe que depuis la fin du XVIIe siècle ! Il faut attendre l’époque moderne pour que Jésus enfant ait les proportions et le visage d’un nourrisson. Jusque-là, sa divinité prévalait sur son humanité. Et même sur les genoux de sa mère, il était figuré debout avec le visage d’un adulte. C’est avec Le Caravage que l’enfant Jésus devient un enfant semblable aux enfants du peuple. Chacun de ses choix esthétiques implique une lecture et une leçon de foi distinctes. Entrer dans son tableau, c’est une vraie leçon d’évangile…

 > Comment le visage du Christ a évolué dans la peinture ?

Quelle représentation a votre préférence ?
J’aime le Nouveau-Né de Georges de la Tour. C’est le premier vrai bébé de l’histoire de la peinture. Le cadrage serré de la toile, l’éclairage à la bougie, l’obscurité de l’arrière-plan sont incroyables. J’aime la pureté du profil de ce nourrisson endormi, avec son front lisse et sa bouche entrouverte. J’aime sa fragilité de petite momie emprisonnée dans son maillot, comme c’était la coutume au XVIIe siècle. L’enfant a quelques jours à peine. Il est éclairé par une chandelle placée à l’intérieur de la composition mais invisible. Cette flamme vacillante fait écho à la fragilité de la vie tout en révélant le seuil du mystère…


Propos recueillis par Magali Michel


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