Marcel Callo a 23 ans quand il est anéanti au camp nazi de Mauthausen en 1945. Alors que nous fêtons le 80e anniversaire de la Libération, voici l’histoire d’une graine de jeunesse broyée par les ténèbres et qui ne cesse depuis de monter en herbe. Cette vie, écrite à l’encre du Christ, est un épi de lumière dans le champ de la résistance spirituelle durant la Seconde Guerre Mondiale. 

Itinéraire d’un enfant rennais

Tout commence en Ille et Vilaine, dans l’Entre-Deux-Guerres. Baptisé le lendemain de sa naissance, à Rennes en 1921, Marcel appartient à une famille nombreuse à la foi profonde. Il grandit avec le scoutisme et la Croisade eucharistique . Plus tard, son curé l’oriente vers la JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Depuis dix ans, c’est le mouvement qui monte. Rapidement, Marcel est élu président de la section locale. Il a vingt ans. Dans les rangs du mouvement, c’est le coup de foudre. Elle s’appelle Marguerite. Elle travaille à la Poste. Lui, droit comme un i dans son costume trois pièces, est typographe. 

Ces gens heureux qui font l’Histoire

Mais les nuages de l’Histoire fondent sur Marcel et Marguerite. L’azur des fiançailles s’assombrit. Voilà deux ans que la Pologne a été envahie. La France est occupée. Rennes a déjà été bombardée. Un second bombardement meurtrit la capitale bretonne en mars 1943. Coup sur coup, ce printemps-là, Marcel perd une sœur sous les décombres et reçoit son ordre officiel de réquisition pour le STO, le Service du Travail Obligatoire. 

Amoureux, sportif et missionnaire

« Ce n’est pas comme travailleur que je vais là-bas : je pars comme missionnaire», assure Marcel avant de monter dans le train pour l’Allemagne. À vingt-et-un ans, l’ouvrier d’imprimerie vit l’entraide en lettres capitales. Justifié par l’idéal de l’Action catholique, le jeune homme veut apporter soutien et réconfort aux travailleurs forcés exilés. Le christianisme du « petit Marcel » ignore l’individualisme. 

Mais trop catholique

Paris, Châlons-sur-Marne, Nancy, Metz, Landau, Mannheim, Francfort, Fulda, Eisenach, Erfurt, Leipzig, Suhl et Zella-Mehlis-terminus. Marcel égrène les stations de son périple au cœur du Reich dans les lettres qu’il poste à ses parents et à sa fiancée. À peine débarqué, le Breton monte tout un réseau de résistance spirituelle. Il entre en contact avec les scouts et les jocistes disséminés dans les autres camps afin d’organiser des réunions secrètes. Les montagnes de Thuringe servent de maquis dominical. Quoiqu’universel, sans armes ni allégeance politique, le combat de cet apôtre clandestin de la fraternité est accusé de la propagande anti-allemande. Tout secours spirituel apporté aux travailleurs civils du STO est strictement défendu.  

L’arrestation

En avril 1944, Marcel est arrêté dans l’usine, où il travaille. Der Herri ist viel zu katolisch « Monsieur est beaucoup trop catholique» répond-on à l’un de ses amis qui s’interpose. Marcel est bouclé dans la prison de Gotha. Il partage la captivité de onze autres jeunes gens arrêtés pour les mêmes raisons. Pendant six mois, les douze forment une ardente communauté de prière. Leurs ravisseurs surnomment la cellule die Kirche, « l’église ». Pendant qu’il travaille dans les fermes environnantes, l’un deux, horticulteur de formation, a l’idée de cueillir des immortelles. Avec ces fleurs, il tresse une croix qui sert de crucifix aux prisonniers. 

La déportation

En septembre 1944, c’est le grand départ. Un ordre de déportation disperse les douze.  Marcel passe par le camp de Flossenbürg en Bavière avant d’être convoyé vers Mauthausen, en Autriche, où il entre fin octobre. Il est alors dirigé vers le commando de Güsen où il travaille dans une usine souterraine aux cadences infernales. Dans ce camp annexe surnommé « l’enfer de l’enfer », Marcel continue de prier en cachette avec d’autres déportés. « Confiance, le Christ est avec nous…Faut pas se laisser aller ! Dieu nous garde. » Il partage le peu de pain dont il a pourtant besoin. Malgré crocs, coups et cailloux, il trouve la force de réconforter ses camarades. 

L’ultime sacrifice

Hiver 44. Marcel tombe malade. On le transporte à l’infirmerie qui est en réalité un mouroir affligeant. Anéanti par la dysenterie et la tuberculose, il se traîne jusqu’à la fosse qui sert de latrines. À bout de forces, il tombe. Comme tant d'autres. Mais c’est sans compter l’aide d’un autre prisonnier. Un certain Albert Tibodo l’arrache à la fosse. Quelques heures plus tard, Marcel meurt dans une grande paix. « Son regard exprimait une conviction profonde qu’il partait vers le bonheur » se souvient Tibodo. À la Libération, ce compagnon des dernières instants de Marcel Callo le 19 mars 1945, apportera à Rennes la nouvelle de sa mort. Et quarante-deux ans plus tard son témoignage au cours du procès de béatification.  

Trésor et trait d’union

« On a pu mesurer combien Marcel Callo comptait là-bas. Les Allemands et les Autrichiens, après guerre, ont vu en lui un pont jeté vers le reste du monde. » témoignent Thomas Gueydier  et Pierre d’Ornellas, l’évêque de Rennes invités à Mauthausen près de Linz sur les lieux du martyre de Marcel en mars dernier à l’occasion du 80e anniversaire de la mort du jeune chrétien. Comme une montée de sève, la réputation de Marcel s’ébruite de façon étonnante tandis que les plaies de la guerre se referment à peine. Une première biographie est publiée en 1952. Elle est rapidement traduite en allemand. Dans les années 1950, une jeune Allemande, Rose-Marie Pabel prend son bâton de pèlerin et part sonner à la porte de la famille Callo, à Rennes. Elle y fait connaissance de sa fratrie, de ses neveux et s’entend dire par madame Callo, sa mère : « Si Marcel peut servir de trait d’union entre l’Allemagne et la France, je serai très heureuse. » 

Sur le podium des grands témoins 

Mais le destin de Marcel ira bien au-delà. Après un procès canonique ouvert dans les années 1960, le jeune chrétien est béatifié par Jean-Paul II le 4 octobre 1987. « Il révèle au grand public le destin sacré de ces catholiques arrêtés, déportés et morts pour avoir témoigné de leur foi dans les rangs du STO » explique Thomas Gueydier, le postulateur de sa cause de canonisation. En 2019, Marcel figurera sur le podium des témoins sélectionnés par le pape François dans son exhortation apostolique Christus vivit adressée à la jeunesse du monde entier. Et en 2023, il sera l’un des treize patrons des Journées Mondiales de la Jeunesse de Lisbonne. 

Parmi une constellation de « saints de la porte d’à côté »

Quatre vingt ans plus tard, on sait mieux en outre que Callo n’a pas été le seul militant chrétien à payer le prix fort pour son engagement missionnaire pendant la Seconde Guerre Mondiale. Subissant le même sort que les huit prisonniers de Gotha, quarante-trois autres catholiques, arrêtés par la Gestapo, meurent en déportation. Ils sont laïcs, fiancés, mariés, séminaristes, prêtres ou religieux. Ces martyrs du STO constituent un trésor pour l’Eglise. « Marcel est l’un des 51 », nuance Thomas Gueydier heureux que la cause de ces autres jeunes martyrs chrétiens avance. Ce sont des itinéraires aussi fascinants les uns que les autres. Ils nous apprennent que la sainteté n’est pas le fait d’individus isolés mais d’une communauté qui cherche à se rapprocher de Dieu. » Parmi eux, Marcel Callo a tout du « saint de la porte d’à côté », comme dirait le pape François. 

Une croix d’immortelle au carrefour de sentiers de fraternité

Quant à la croix de fleurs tressées par les détenus de Gotha, elle est régulièrement présentée à la jeunesse lors de festivals, grands événements et manifestations. Après Lisbonne, elle ira à Rome l’été prochain pour le jubilé des jeunes. « Notre bijou, c’est cette croix. Nous ne possédons que cette relique », explique le diocèse de Rennes d’où partiront le 11 mai prochain une quinzaine de lycéens. Dans le cadre de la matinée spéciale sur France 2 en direct de Flossenburg, en Bavière, ces lauréats du concours national de la Résistance mettront leurs pas dans les sentiers de fraternité tissés par les figures inspirantes de Marcel Callo et de ses compagnons. 

Magali Michel

Marcel Callo, une empreinte indélébile

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