« Fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité ». Ces versets du psaume 24 guident notre carême. Sœur Isabelle Le Bourgeois nous offre une méditation sur les chemins de la confiance.

Au moment de prendre la route pour entrer en ce temps de carême je propose de nous arrêter quelques instants. Quels sentiments nous habitent ? Sommes-nous de ceux qui voient arriver ce temps avec ennui, paresse, inquiétude, découragement… à quoi bon, c’est toujours la même chose et rien en moi ne change vraiment ? 

Ou bien sommes-nous poussés par le désir de réussir quelque chose, de nous dépasser, de faire un « bon carême » ?
Quel que soit notre état d’esprit, tentons ensemble de nous remettre dans la perspective de ce temps liturgique offert chaque année. 
« Que cherchez-vous ? »   demande Jésus au tout début de l’évangile de Jean à ceux qui le suivent. Leur réponse « où demeures-tu ? » amène Jésus à les inviter à venir et à voir. L’ordre des verbes est important et à y regarder de près il est peut-être quelque peu dérangeant. En effet, Jésus, avant toute chose, invite à se mettre en route, ne dévoilant rien à l’avance de ce qui sera donné. Accepter l’ordre de ces verbes nous entraine à une certaine dépossession puisque tout est à recevoir. La question « où demeures-tu » sollicite notre liberté, notre désir. Ce temps de carême nous invite-t-il à la faire nôtre ? 

Si nous disons oui, alors ce n’est plus nous qui « faisons » notre carême. En nous invitant à venir voir c’est Jésus lui-même qui va nous mener sur une route encore inexplorée dont nous ne savons rien. Ce n’est pas toujours confortable, nous l’avons déjà expérimenté, mais nous savons, aussi, que nous sommes là au cœur de toute démarche de foi. En effet, la foi suppose de ne savoir à l’avance ni le « où », ni le « comment » mais comme le dit si bien Yves Raguin  « Comme le bout du chemin se perd en Dieu et que personne ne connaît le chemin sinon celui qui vient de Dieu, Jésus Christ, il faut, tout en écoutant les maîtres que nous rencontrons, fixer les yeux sur lui seul. Il est la voie, la vérité et la vie. Lui seul, d'ailleurs, a parcouru le chemin dans les deux sens. Il faut mettre notre main dans la sienne et partir ».

L’expérience à laquelle Jésus nous invite est donc celle de la confiance, c’est-à-dire de la « foi avec ». Celui que le psalmiste invoque  « fais-moi-connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve » n’est pas n’importe quel Dieu. C’est celui qui me sauve. De ce point de vue, notre expérience est différente de celle des disciples qui découvraient à peine l’homme Jésus et qui se sont pourtant lancés dans l’aventure. Tandis que nous, si minime soit-il, nous avons déjà créé un lien avec le Jésus de l’évangile et avons peut-être fait l’expérience de ce Dieu qui sauve. C’est-à-dire de Celui qui connait les chemins par lesquels nous pouvons passer pour rester des vivants. Nous n’empruntons pas tous les mêmes, ils sont personnels, exclusifs car pétris de nos aptitudes à la joie comme de nos blessures, connues ou non. Le Jésus de l’évangile ne nous entraine pas sur des sentiers impossibles pour nous, il prend en compte l’être inachevé que nous sommes. Ce temps de carême nous invite à « aller voir » et à découvrir ce qu’il nous propose. À nous de décider. 

Pour terminer et donner un peu de chair à ce qui précède, je voudrais rapporter un petit récit en forme de parabole. Rencontré alors que j’étais aumônier de prison, Samuel, détenu depuis un moment déjà avait, cette année-là, le désir de « faire un bon carême ». De quoi devait-il se priver, quels efforts avait-il à faire ?  En parlant plus profondément avec lui, nous avions convenu qu’il avait déjà assez enduré de privations et de blessures en tous genres pour ne pas en rajouter. Le moment était peut-être venu d’ouvrir tout son être à la vie possible en lui. Cela ne lui était guère familier et je me souviens de sa crainte au moment de se lancer, tant il était certain que la vie et lui n’étaient pas compatibles. Pourtant, il avait décidé de faire confiance, reprenant pour lui les mots du psalmiste « Fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité ». 

Jour après jour, il se laissa rejoindre par la beauté toute simple d’un coucher de soleil, par la première fleur de printemps prise entre deux blocs de béton, par le sourire inattendu d’un autre détenu… Au terme de cette expérience, il me confia « Pouvoir reconnaitre les petites beautés de tous les jours, c’est ça découvrir la vie ? Je n’y avais jamais pensé de cette façon. En fait, je découvre que ce sont ces petites choses-là qui donnent envie de vivre. Et avoir envie de vivre, c’est déjà vivre, non ? Je n’aurais jamais cru cela possible. C’est mystérieux et simple à la fois. J’espère ne pas oublier. » 

Sœur Isabelle le Bourgeois 

D’abord chef d’entreprise, Isabelle Le Bourgeois est devenue religieuse, psychanalyste et aumônier de prison. Durant quatorze ans, elle a accompagné des détenus dans la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et formé des aumôniers de prison. Elle a publié, entre autres, Derrière les barreaux, des hommes (Desclée de Brouwer, 2002), Espérer encore (Desclée de Brouwer, 2006) et Le Dieu des Abîmes (Albin Michel 2020). Elle est la lauréate de l’édition 2024 du Prix littéraire de la liberté intérieure du Le Jour du Seigneur pour son livre Vivre avec l’irréparé (Albin Michel). Dans cet ouvrage, elle s’interroge sur les possibilités de réparer les souffrances et les douleurs qui semblent irréparables dans les psychologies humaines.

Retrouvez Isabelle Le Bourgeois dans un épisode de Théologies en partage sur la psychanalyse.