Le « Cantique des choses » de frère Joris
Venez, adorons ! Il y a le « Cantique des créatures » de frère François d’Assise, et le « Cantique des Choses » du frère Joris Lacoste. Dans ce dernier, pas de transcendance créatrice à laquelle rapporter ce que l’on chante, mais seulement l’infini monde immanent des choses. Oui, Joris et sa troupe d’« officiants » nous offrent cette année en Avignon comme la grand’messe d’une « nouvelle religion » des « choses », dans un poème à la maîtrise parfaite et joyeuse. Geste lumineuse sans narration, avalanche de mots musicale et chorégraphiée, ce spectacle fourmillant de références prosaïques ou philosophiques, spirituelles ou matérielles, suscite notre désir de pouvoir un jour en écouter l’album, tant la composition s’avère parfois jubilatoire, à la manière d’une comptine dadaïste qui donne envie de danser ensemble sur ce que l’on ne comprend pas et que l’on aime en même temps.
Mais arrêtons-nous un instant sur le terme de « nexus », que celui d’adoration vient compléter dans le titre du spectacle. Il est employé dans le monde de la science-fiction ou celui des jeux vidéo, pour désigner le point où se rencontrent de multiples éléments étrangers : portail permettant de passer d’un monde à l’autre, il s’agirait ici du « nexus » présent en chaque chose séparément, ouvrant à l’émerveillement adorateur d’une collectivité rassemblée à partir des « choses ».
D’Horace à Kafka, de sainte Thérèse de Lisieux à une poètesse gazouie victime de la guerre, d’Oswar Wilde à Aristote en passant par Nietzsche et Jésus-Christ, ce bateau ivre nous met en garde contre le démon des associations trop faciles…. Au-delà de tout discours, c’est une célébration évocatoire qui sans éluder le tragique et à la mort, parvient à faire exister sur scène les insaisissables ressorts sociétaux de notre monde contemporain : les flux d’informations et des réseaux, l’évolution franglaise de la langue, la multiplication des produits de consommation et de leur mode d’emploi… Délaissant le monde de nos aïeux et ses codes traditionnels repérables, cette « nouvelle religion » a pour seule fin, aussi baroque qu’utopique, de nommer les choses dans leur singularité propre, et, dès lors toutes les choses dans leur hétérogénéité, jusqu’à la fin des temps.
Si saint Jean terminait son évangile en affirmant que s’il fallait consigner tout ce qu’avait fait Jésus-Christ durant sa vie, le monde entier ne suffirait pas à en contenir les livres qu’on en écrirait (Jn 21, 25), lors de la première de nos rencontres « Foi et culture » de la 79e édition du Festival d’Avignon, dans la chapelle des Italiens, Joris Lacoste nous a expliqué que dans la « nouvelle religion » de son théâtre, on pourrait dire de même à propos de n’importe qui et de toute chose : nous sommes dépassés en même temps que reliés par celles-ci. Or cette impossible mission de les embrasser - « impossible » car il faudrait vraiment de « très, très longs bras » - est néanmoins ce qui est porteur de joie. Pour Joris Lacoste, le très sérieux co-auteur de l’Encyclopédie de la parole, consultable sur encylopédiedelaparole.org, c’est une « alliance » non pas avec le Créateur mais avec l’immanence des choses, du Tout-Venant, qui anime son chant. Il nous dévoile ainsi le spirituel et le potentiel de communion au cœur du matériel diffracté et de son énumération joyeuse. On nous l’a en effet dit sur la scène de Nexus : « toutes les choses sont promises, et toutes les choses sont dues ».
Nexus de l’adoration de Joris Lacoste au Gymnase du Lycée Aubanel, les 6, 7, 8 et 9 juillet à 18h
Frères Charles, Rémy, Simon, Thierry et Thomas