Le festival “in” de l’outre-mer !  


À la Chapelle du Verbe incarné, rue des Lices, vous avez un lieu unique dans le festival : la salle qui programme, avec une direction très sûre (et chaleureuse !), des spectacles uniquement montés par des artistes français d’outre mer, de la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, en passant par la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Pierre-et-Miquelon. Au Jour du Seigneur, avec Tous frères, nous sommes particulièrement attentifs et attachés à ce qui se fait, se pense et se crée en outre-mer. Aussi sommes-nous deux frères à avoir vu un très large pan de la programmation de cette année 2025 (mais pas absolument tout, hélas) ! En voici un retour exhaustif, et exhaustivement enthousiaste… par ordre chronologique de programmation : 

Porgy and Bess (Les Contres Courants)
C’est une adaptation en 55 minutes de l’opéra splendide de George Gershwin, avec d’impressionnants jeunes talents, dans le programme des Voix des Outre-mer (de l’association Les Contres Courants). Le festival d’Avignon a beau être bientôt terminé, vous pourrez aller écouter certaines de ces magnifiques voix (notamment Joseph DeCange, dans le rôle de Sportin’ life) le mardi 30 juin 2026 à 19h30 au Théâtre des Champs-Elysées, pour les trois heures complètes, avec cette fois également d’autres chanteurs et chanteuses déjà internationalement connus.

Comment devenir un dictateur (Compagnie Hier Aujourd’hui Demain)
Il est rare d’assister à un seul en scène qui aborde la question du pouvoir politique aussi frontalement, avec à la fois humour et profondeur, sincérité, pertinence. Nous sommes certes habitués à prendre acte de la montée des populismes en ces jours, mais là, sur scène, nous avons devant nous le formateur de tous les meilleurs dictateurs du monde (il en fait l’inventaire) ! C’est là un exercice de style qui dérange et soulage à la fois : prenons le temps de mettre le sujet sur la table, ailleurs que sur un plateau télé superficiel. Abordons-le ensemble, au théâtre, lieu politique par excellence, dont la vocation est de résister à toutes les propagandes, et que les pouvoirs propagandistes anesthésient et détruisent toujours en premier. 
Ainsi, en peignant avec nous, pendant une heure, les ressorts bien connus de la peur et de l’autoritarisme, de la médiocrité assumée des nobody assoiffés de pouvoir et de la démission existentielle de peuples entiers qui s’en remettent à leur coupe, nous sortons de ce spectacle plus libres, plus légers, et avec un sentiment de reconnaissance et d’amitié envers l’auteur et l’interprète de ce texte, Nans Gourgousse, dont on entend, à travers ce mode d’emploi grinçant, la déclaration d’amour faite à la liberté et à la responsabilité de tous les hommes : il n’est pas tant question des tyrans, mais de celles et ceux qui les choisissent et leur obéissent. Potentiellement, de vous et moi, donc. 
Merci à la compagnie Hier Aujourd’hui Demain, ainsi qu’à la metteuse en scène Camille Kolski !

L’Enfant de l’Arbre, (Compagnie Lé LA)
C’est le propre des œuvres jeune public de qualité que de parler profondément aux enfants comme aux adultes. L’Enfant de l’Arbre y souscrit, avec poésie et beauté, notamment dans les magnifiques costumes (qui ne rêverait d’interpréter un arbre plein de vie et un arbre mort aussi authentiques et humains) !
Au fond, c’est une fable sur la possibilité du retour de la vie là où la croit définitivement perdue : une fable sur le thème médiéval et biblique de la reverdie. Inscription de l’homme dans la nature, amitié entre les peuples, regard poétique sur le monde et sa gratuité, transmission intergénérationnelle, c’est tout cela qu’aborde l’Enfant de l’Arbre… puissiez-vous vous émouvoir, jusqu’au don divin des larmes, devant cette touchante aventure…!

Entre les lignes (Florence Boyer)
Il y a des pièces portées par la grâce. C’est le cas d’Entre les lignes, dont le texte, la mise en scène, la chorégraphie et l’interprétation reviennent à Florence Boyer. Les lignes, ce sont les fils de tissu travaillés, ce sont les corps, bras et jambes qui se débattent comme Jacob avec l’ange, croissent à la lumière et dansent avec la vie et la mort. Ce sont des voiles, entre lesquels se cache peut-être le passage du monde visible à l’invisible, de celui des vivants à celui des défunts. Ou plutôt, dans cette pièce, ces mondes n’en font qu’un, dans une dialectique des corps filmés et projetés et des corps palpables, ceux du public que l’artiste invite sur scène avec une grande délicatesse et audace, et ceux des défunts de nos aïeux. La ligne, c’est celle, ténue, que le public doit couper avec une paire de ciseaux en entrant dans le sanctuaire de la salle de représentation. Il n’est pas anodin que cette pièce de danse se donne dans la chapelle du Verbe incarné ! Nous ne pouvons qu’espérer que vous ferez à votre tour la rencontre de cette artiste, unissant les lignes de latitude des Hauts de France et de l’île de la Réunion, les lignes d’une grande tunique sans couture, comme l’était celle du Christ, unissant les morts et les vivants…

Laudes des Femmes des Terres brûlées (Grand Théâtre Itinérant de Guyane)
Au théâtre, il est des rencontres scéniques exceptionnelles : c’est ici celle d’un texte, comme un éclair de beauté et un seul long cri sacré, avec quatre femmes et… un “embaumé”. Il y a nécessité à ce que ce texte soit très prochainement édité, car c’est un grand texte. Et grandes, terribles sont les comédiennes qui l’assument : quatre femmes, pour les quatre points cardinaux, qui en appellent à la Déesse-Mère pour la mettre en jugement, devant les souffrances immémoriales et perpétuelles de toutes les femmes du monde. Les costumes sont absolument superbes, l’énergie énorme, et le flots de paroles d’une richesse inouïe, développant comme une théologie féministe de la souffrance par un excès d’images, dans un apophatisme proche de celui de l’Apocalypse de saint Jean. Mais c’est aussi saint Matthieu dont ce texte nous rapproche, évoquant un oratorio à la façon de la Passion selon saint Matthieu de J. S. Bach… 
Ainsi, suspendus tout du long à la réponse de la Déesse-Mère, qui doit paradoxalement s’exprimer à travers le corps porte-voix d’un homme mort (l’“embaumé”), nous assistons au réquisitoire magnifique de ces quatre femmes mythiques, incarnées par quatre comédiennes (dont l’autrice et metteuse en scène) impressionnantes de force et d’intensité. Elles atteignent aux émotions les plus profondes et enfouies, à travers un texte d’une très haute volée. Et ce, jusqu’à la réponse ultime de la Déesse-Mère, non sans lien avec la Théotokos (la mère de Dieu), dont le contenu (que nous gardons secret) est tout simplement virtuose. 

Kanaky 1989 (Compagnie La Grande Horloge)
Kanaky 1989, c’est le genre de grâces que l’on reçoit dans la programmation des Théâtres d’Outre-Mer : un spectacle intelligent, fin, sensible, politique et humaniste, qui nous fait aller bien au-delà des traitements médiatiques insuffisants et superficiels. La médiatisation de la Nouvelle-Calédonie, elle a été certaine ces dernières années, à la faveur des graves émeutes qui ont secoué l’île et son peuple. Et l’histoire de cette île est grave, celle de ses familles, kanaks et blanches, ici depuis des milliers d’années ou débarquées depuis peu au gré de l’histoire française.
Fani Carenco nous emmène dans l’histoire collective et familiale, elle qui a connu enfant l’admirable Jean-Marie Tjibaou, qu’elle nous offre de connaître dans sa simplicité et sa qualité humaine qu’elle a aimée et dont elle a pu bénéficier enfant. Corps des acteurs et actrices, filmées ou sur scène, images d’archives et souvenirs ressuscités, parfois incertains, toujours vifs : toute cette généreuse pièce nous enrichit et nous laisse grandis, édifiés par l’humanité toute simple et pourtant si précieuse des protagonistes. Merci aux trois actrices Fani Carenco, Laurence Bolé et Adeline Bracq pour leur grande authenticité !

Je ne suis pas les autres just me (Laurence Joseph)
Il est très intéressant de se rendre à un seule en scène comique pour la première fois. C’est véritablement tout un genre ! Et si le tragique continue d’avoir le monopole de la hauteur d’esprit, dans la psyché commune du public, c’est pourtant bien le comique qui est plus exigeant et difficile à mettre en place : d’où vient que l’on rit ? comment faire rire ? Alors, s’essayer à ce one-woman-show tendre et malicieux de la guadeloupéenne Laurence Joseph, c’était pour nous découvrir un monde. Le rire dit beaucoup d’une culture donnée ! Ici, les figures familières sont nombreuses, de la vieille dame aux “lunettes de vue créoles” et à la jeune fille écervelée type “Kevina” d’Elie Semoun. La communication avec le public était formidable, des plus âgés aux plus petits (spéciale dédicace pour le jeune Grégoire au 3e rang, qui fut la mascotte de la soirée), et les rires n’ont pas cessé ! Merci pour cette généreuse tranche de rire, qui sait aussi être touchante de sincérité… 

… Après tous ces spectacles, ce qu’il est possible de vivre au Verbe incarné et ses Théâtres d’Outre-Mer, c’est aussi de boire un verre ! Qu’il s’agisse d’eau citronnée, mentholée, de petit punch ou de rhum coco, l’atmosphère est conviviale et c’est un bonheur de pouvoir échanger avec les différentes troupes. Nous ne pouvons que vous donner rendez-vous l’année prochaine : pour le “festival in” de l’Outre-Mer, c’est au Verbe Incarné ! 

#TOMA Théâtres d’Outre-Mer en Avignon, Chapelle du Verbe Incarné, 21G rue des Lices, du 5 au 24 juillet 2025, accès à toute la programmation avec le #PASSTOMA (30€).

frères Charles, Rémy, Thierry, Thomas et Marc-Antoine

Crédit photo : #TOMA