L’art du théâtre dans sa jeunesse et son excellence

 

Selon le poète Novalis (1772-1801), “la pudeur est certainement le sentiment de la profanation ; amour, amitié, piété ne devraient point être traités sans mystère et l’on devrait à leur sujet se comprendre en silence”.

Dans une vie d’humanité, il est des mémoires sans parole qui en disent bien davantage qu’un journal intime. Ce sont précisément ces mémoires silencieuses - sans nulle parole - qui, au gré d’images suggestives, inattendues et d’une inoubliable beauté, font la force de MAMI de Mario Banushi. Bien plus qu’un spectacle, MAMI est une heure d’exception, voire une révélation, qui justifie un festival, lorsqu’avec une rare maturité, un jeune metteur en scène albanais de vingt-sept ans nous offre de vivre une leçon de théâtre et mieux encore une célébration de la vie.

MAMI, c’est tout simplement les fragments épars d’une vie d’enfance, d’adolescence et d’adulte passée auprès d’une mère et d’une grand-mère, avec ses joies, ses peines et ses détresses, ses émois, ses exigences et ces attentions, tendres et délicates, celles que suscite un coeur maternel. Livrée sur scène avec pudeur par des comédiennes et des comédiens hors pair, MAMI est portée par une expérience de vie. Or, loin d’être prisonnier de tout ressort autobiographique, le travail de Mario Banushi confine au mythe, avec cette liberté que nourrit une vive intelligence du quotidien ordinaire, des arts du dessin et de la couleur ainsi que des Saintes Ecritures, notamment quand la mère, figure de la Vivante alias Eve, donne naissance aux frères ennemis.

Au gré d’une d’une trajectoire fluide, d’un espace sans apparat et de somptueux clairs obscurs, les tableaux se suivent, s'enchaînent et se confondent l’un dans l’autre avec l’art d’un magicien. Lorsqu’à la fin du premier tableau, la mère rentre dans son logis de parpaing, sa chemise de nuit négligemment prise dans l’huisserie, c’est la grand-mère qui, vêtue de la même chemise, apparaît à peine quelques secondes plus tard dans l’embrasure de la porte. Dans un autre tableau, lorsque disparaît ce même logis, modeste maison perdue dans un terrain vague qu’éclaire un lampadaire, sans que nul ne s’en aperçoive ! , c’est au bénéfice de son souvenir réduit à la dimension d’une maison de poupée.

MAMI est comme un rêve éveillé où les réminiscences des grands chefs d'œuvres des arts du dessin et de la couleur, du quattrocento et d’aujourd’hui, conduisent le regard là où nul ne pensait être convoqué. En effet, au-delà même du regard du cinéaste russe Andreï Tarkovski, des fulgurances du vidéaste Bill Viola, du réalisme d’Emma Dante et des perceptions du metteur en scène et plasticien italien Romeo Castellucci, le  jeune Mario Banushi, nous conduit directement à la source des grands maîtres de la peinture d’Occident, créant des images d’une force plastique inouïe : scènes d’accouchement, de mariage, de noyade, de soins, de funérailles, toutes plus belles les unes que les autres.

Au-delà de la mélodie qui l’accompagne, bruissement, volées de cloches, symphonie, clarinette et folklore, MAMI, est une véritable partition qui, avec son thème, ses variations et ses reprises, ses pianissimi et ses tutti, ne cesse de désigner l’ultime point d’orgue de ce spectacle à nul autre pareil : l’hommage à celle qui, dans les douleurs d’un incessant enfantement, demeure dans la joie de mettre au monde un enfant. Si, insensiblement, MAMI est un requiem, tout concourt à y reconnaître une célébration de la vie offerte, accueillie et recueillie jusqu’à la fin, surtout quand les gestes du fils, prenant soin de la vieille mère, sont exactement ceux de la mère prenant soin de son enfant.

Révélation du festival d’Avignon 2012, Julien Gosselin invite prochainement Mario Banushi au théâtre de l’Odéon à Paris ; serait-ce un hasard ?  N’hésitez donc pas à vous y rendre pour y découvrir le théâtre dans sa jeunesse et son excellence tel qu’il nous a émerveillé au gré d’une révélation !


MAMI de Mario Banushi au Gymnase du Lycée Aubanel, les 13, 14, 16, 17 et 18 juillet à 18h30

Frères Charles, Rémy, Thierry et Thomas

Crédit photo :  MAMI,  Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon