En nous offrant de nous réapproprier, par la chorégraphie, le répertoire de Jacques Brel dans le cadre minéral, abrupt et accidenté de la carrière de Boulbon, Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte nous offre un étonnant portrait du chanteur à la “gueule rocailleuse” du Plat pays.
Sensible et poétique, ce portrait n’en demeure pas moins politique et sarcastique avec des chansons d’hier qui résonnent fort aujourd’hui. C’est ainsi que le diable ouvre le bal, lorsque, venu sur terre afin de surveiller ses intérêts parmi les hommes, il rentre chez lui satisfait de tout ce qu’il a vu : “Ca va, les hommes s’amusent comme des fous aux dangereux jeux de la guerre… Ca va, rien ne se vend mais tout s’achète, l’honneur et même la sainteté. Ca va, les états se muent en cachette en anonymes sociétés…”
Lors de la rencontre “Foi et culture” du 15 juillet au Théâtre des Italiens, Anne-Teresa de Keersmaecker ne manque pas de rappeler que cette dimension politique est inhérente à son propre parcours de vie. “Mes parents sur la terre des Flandres m'ont appris qu'il n'y a pas d'amour sans justice”. Cette conviction va colorer toute son oeuvre créatrice, notamment quand dans “Mystery Sonatas / for Rosa”, inspirée par les “Sonates du Rosaire” de Franz Biber (1644-1704), la chorégraphe rend hommage à quatre figures de Rose, femmes engagées dans une résistance : Rosa Bonheur, Rosa Luxemburg, Rosa Parks, Rosa Vergaelen et Rosa, jeune activiste en faveur du climat, décédée lors des inondations de 2021 en Belgique.
Projetées sur les falaises de la carrière, ce sont d’ailleurs des images d’inondations du Plat pays qui viennent se déverser sur le plateau, rencontrant Anne-Teresa et Solal dans un jeu de danse subtil et amusé. La géométrie du plateau est parfaitement maîtrisée et la lumière crée l'espace et la verticalité. Il y a de la noblesse dans la danse comme une ode aux gens ordinaires et aux invisibles qu’une poésie bourgeoise n’aimerait citer.
La mort et l'amitié effleurent aussi chaque chanson de Brel. Son grand ami “Jojo”, Georges Pasquier, même “six pieds sous terre” nous ramène à une époque où la relation, la communion simple et joyeuse prévalait sur la culture marchande et intéressée. La nostalgie pourrait nous happer, si la puissance de la voix de Brel, les corps généreux de Anne Teresa et Solal ne nous réanimaient pas, comme la promesse d’une éternelle valse … (musique!)
BREL d'Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte à la carrière Boulbon, les 6, 7, 9, 10, 11,13, 14, 15, 17, 18, 19 et 20 juillet à 22h00
Frères Charles, Rémy, Thierry et Thomas
Crédit photo : @charles desjobert