De « paroles rudes », il nous semble que nous soyons servis en ce dimanche, frères et sœurs, avec une certaine abondance : les paroles de Jésus qui parurent « rudes » à ceux et celles qui les entendirent dans la synagogue de Capharnaüm (nous les aurions entendues nous-mêmes dimanche dernier, dans la lecture continue du chapitre 6 de l’évangile selon saint Jean, si le calendrier ne nous avait pas fait célébrer plutôt l’Assomption de Marie) et celles que le Seigneur semble ajouter comme à plaisir lorsqu’il constate leur scandale, comme celle-ci par exemple : « C’est l’esprit qui peut tout, la chair ne sert de rien », et encore les paroles de saint Paul entendues en seconde lecture qui heurtent nos oreilles d’Occidentaux du troisième millénaire, en particulier cette phrase trop célèbre : « Femmes, soyez soumises à vos maris ». Ce sont des paroles « rudes » à entendre, difficiles à comprendre, alors que nous aurions besoin tous de paroles de douceur et de consolation, vous, surtout, frère et sœurs belges qui avez souffert au mois de juin et au mois de juillet des violences de la nature dans des proportions rares en nos pays développés. Tel est parfois la rudesse de la liturgie qui nous fait entendre des paroles que nous n’aurions pas choisies pour le moment spirituel où il nous semble nous trouver.

Rappelons-nous : Jésus a nourri une grande foule avec cinq pains d’orge et deux poissons ; le lendemain, beaucoup l’ont rejoint et il leur adresse un grand discours, que nous appelons « le discours du pain de vie ». Que leur a-t-il dit qui provoque leur agacement ? Ceci par exemple : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi, je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. » Permettez-moi de synthétiser ce long discours avec mes mots : Jésus se présente comme apportant, lui, aux humains, ce dont ils ont le plus besoin ; or, il n’apporte rien d’autre que lui-même, donné, livré, en nourriture dans la pauvreté du signe du pain. Comment pouvons-nous accepter cette prétention, frères et sœurs, alors que les besoins des êtres humains sont si grands et pressants, alors que les motifs d’inquiétude se dressent de tous côtés, alors qu’ici même tant de personnes sont dans la détresse à cause de la mort d’un proche, des images de destruction qu’elles ont vues, de la perte de leur maison ou de leur outil de travail ?

Est-il raisonnable de croire que le plus nécessaire, le plus important pour tous se concentre dans la petite portion du pain consacré que Jésus nous tend ? Et comment notre monde qui a tant de force pour se construire lui- même, tant d’énergie pour s’améliorer, pourrait-il supporter d’entendre : « La chair – c’est-à-dire ici ce qui vient de l’homme- ne sert de rien ; c’est l’esprit – c’est-à-dire ce qui nous ouvre à plus haut et plus grand que nous- qui donne la vie » alors que tout le mouvement de nos sociétés consiste à s’organiser seulement à partir de ce que nous pouvons bâtir de nos mains et à ne mettre notre espoir que dans les constructions de notre intelligence collective et de nos volontés réunies ?

Pourtant, frères et sœurs, nous, nous sommes là. Nous sommes en quelque façon dans une situation qui prolonge celle où Josué avait placé les Hébreux : qui voulons-nous servir ?

De quel dieu reconnaissons-nous devoir la vie ? Du dieu que nous nous donnons à nous-mêmes, ou du Père qui a envoyé son Fils dans le monde pour que « notre vie ne nous appartienne plus à nous-mêmes mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous », selon la formule de la quatrième prière eucharistique ? Car, certes ! nous avons besoin de maisons, de nourriture, de travail, de sécurité, d’affections, d’amitiés, mais nous avons besoin tout autant et peut-être plus encore de ce que nous ne pouvons pas nous donner à nous-mêmes mais seulement recevoir d’en haut, d’un autre, de l’Autre qui est pour nous le Non-Autre, « plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes » : la charité de Dieu, la capacité de Dieu de se donner pour que nous ayons la vie, qu’il nous dévoile en Jésus.

Elles sont rudes, les paroles de Jésus, parce que nous ne pouvons combiner facilement les deux mouvements : nous reconnaître vivants à partir de ce que nous faisons, construisons, produisons ou nous reconnaître vivants à partir de ce que nous recevons sans pouvoir nous le procurer nous-mêmes. Dans toute existence, vient un moment où il faut choisir. De même, elle est rude, la parole de l’Apôtre : « Femmes, soyez soumises à vos maris ». Mais faisons l’effort de la comprendre avant d’y fermer nos oreilles. Jamais l’Apôtre n’a voulu dire que l’épouse devait être la domestique de son mari ni être considérée comme une enfant mineure placée sous son autorité. Rien en Jésus, rien de Jésus, ne permettrait de soutenir une pareille conception.

Il faut entendre le passage dans son intégralité, en particulier : « Vous les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : … il s’est livré lui- même pour elle », et tout comprendre à partir de Jésus et de ce que saint Paul appelle l’Église. Sans doute les hommes, même chrétiens, se sont-ils volontiers dispensés d’une telle rigueur pour retenir ce qui paraissait conforter leur position toujours menacée.

Disons, pour rester bref ce matin, que l’Apôtre appelle les époux à vivre une relation de dépendance mutuelle, de consentir à dépendre l’un de l’autre, non pour exercer des droits l’un sur l’autre mais pour avoir la joie de se découvrir plus vivants, plus porteurs de vie, l’un grâce à l’autre. Car telle est la logique du Dieu vivant, de celui qui se dévoile à nous sur la croix : le plus vivant est celui qui donne sa vie et cela nous est possible parce que Dieu nous précède toujours sur ce chemin.

Alors, frères et sœurs, nous voici devant un choix. Dirons-nous : « Cette parole est rude. Qui peut l’entendre ? » ou nous exclamerons-nous : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.

Quant à nous, nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu!»? A moins que, conscients de notre fragilité, reconnaissants humblement que nous ne pouvons pas garantir le choix que nous faisons concrètement, nous nous abritions dans les paroles de saint Pierre, revenu de toute présomption, celles qui servent de thème à cette année en ce sanctuaire : « Seigneur, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime ».

Et nous avons ici la grâce de pouvoir nous confier à la « Vierge au cœur d’or », celle qui sait nos désirs et nos misères et qui, pour nous, en notre faveur, sait que son Fils a pour nous le pain de la vie et le vin des noces éternelles, Amen.

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