Immortaliser, fixer l’instant, être présent, ne rien rater de l’événement. Voilà ce qui anime bien des personnes qui prennent avec frénésie des photos et autres selfies, en toutes circonstances et en particulier en ce temps de vacances qui commence ! Souvent, il arrive que le futur souvenir —que représente la prise de photo— prenne le pas sur l’instant. C’est comme si la photo-souvenir devenait plus importante que l’instant-présent… Aujourd’hui on ne contemple plus une œuvre, un événement. On l’immortalise… On ne lui laisse plus être ce qu’il est ! Mais à force de vouloir conserver notre passé pour le futur, vivons-nous vraiment le présent ?

L’être humain aime se tourner vers son passé, ses souvenirs, son histoire. Par devoir de mémoire —lorsque le passé est un passif— il nous arrive de revisiter certains événements douloureux de nos histoires. Il y a aussi chez certains d’entre nous une tendance à dire « c’était mieux avant » par peur de se confronter aux réels défis. Il peut nous arriver de nous enterrer littéralement dans le passé des morts par crainte de nous tourner vers l’avenir des vivants. Ce passé sera chez certains une histoire heureuse, qui ne se reproduira plus jamais ; pour d’autres une relation dont on ne peut faire le deuil ; pour d’autres encore un projet qui a échoué, une entreprise sans succès, sans succession… Qu’il est difficile pour l’humain de faire des deuils féconds, de mourir à ce qu’il n’est plus, pour renaître à ce qu’il est réellement !

Dans l’Évangile de ce jour, à trois reprises, Jésus nous invite à nous libérer de cette prison du temps. Pour cela, il nous convie à un réel travail de deuil sur nous-mêmes. Par des petites phrases tranchantes —qu’il est pour certains si difficile à entendre—  Jésus nous invite à vivre plus intensément notre vie, au quotidien.

« Le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » ;
c.à.d., Ne cherche pas à fixer, à immortaliser l’instant.

« Laisse les morts enterrer les morts »
c.à.d., Ne te replie pas sur ce passé à jamais dépassé.
« Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume »
c.à.d. Ne te réfugie pas dans tes sécurités, tes droits acquis.
Vis ta vie en allant de l’avant.

Les réponses de Jésus sont cinglantes, incompréhensibles à première vue. Et pourtant… Voilà une sagesse qui nous rappelle que l’existence ne se vit pleinement que dans l’épaisseur du présent, avec ses incertitudes, sa fragilité et ses surprises. Il ne s’agit pas de se couper de ses racines, mais de discerner un avenir toujours possible ! Ne te réfugie pas dans tes certitudes, dans tes lieux de confort, où tu peux te terrer, et bien vite t’enfermer. L’annonce de l’évangile, du Royaume, c’est mettre de la Vie dans la vie, quelles que soient nos blessures…

Jésus, alors que sa fin est proche, vit sa vie jusqu’au bout. Il se tourne résolument vers son avenir. Il envoie devant lui des messagers pour préparer sa venue. Alors, si dans notre culture, on parle beaucoup du devoir de mémoire, Jésus nous confronte dans l’Évangile de ce jour à un
« devoir d’avenir ».

Il est urgent, frères et sœurs, que les chrétiens d’aujourd’hui cessent d’être nostalgiques de leur passé, de leurs églises, de leur tradition, mais qu’ils soient créateurs d’avenir. Pour cela, il y a un réel deuil à faire de beaucoup de nos entreprises et nos structures. Mais il y a surtout un travail de construction, d’avenir, un chantier à l’image de cette église qui renaît ! Oui, soyons ces messagers envoyés pour préparer la venue du Christ. Laissons-les combats dépassés s’enterrer eux-mêmes. Laissons les morts enterrer les morts. Mais mettons la main à la charrue, sans fuir en avant. Sans remettre à plus tard les vrais enjeux. A chacun de regarder devant, lucidement et sans idéologie, pour offrir du courage à notre monde qui en a tant besoin. Comment ? Il s’agit d’avancer selon la liberté de l’Évangile, car nous sommes tous des êtres en devenir, jamais atteints, toujours en évolution, quel que soit notre âge. Si le Christ, nous dit saint Paul, nous a libérés, c’est bien pour que nous soyons réellement libres.

Alors, laissons vraiment les morts enterrer ce qui est mort en nous. Ne nous enfermons pas dans nos échecs, dans nos errances. Intégrons au contraire nos chemins respectifs et reconnaissons qu’ils constituent la richesse de ce que nous sommes devenus. Oui, dans l’espérance, nous sommes invités à être « fidèles à notre avenir », à oser croire, envers et contre tout, en ce Dieu qui nous accompagne sans cesse et nous ouvre la voie du Royaume.

Car quand on laisse derrière soi son chez-soi et ses propres sécurités, on découvre, devant soi une terre nouvelle, inespérée, insoupçonnée. Celle du Royaume, de l’Évangile, qui offre de l’avenir, de la joie au quotidien. Amen.

 

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