Il y a un peu plus quinze ans, quand j’avais encore des cheveux, à la fête de la musique, je me suis produit non loin d’ici avec mon frère, pour un petit concert de rock avec son groupe. J’étais choriste. A l’époque, les amis de mon frère trouvaient que l’on s’entendait à merveille. Cela n’était pas vraiment le cas. Il était plutôt fâché de me voir rentrer dans la vie religieuse. Et même s’il avait rebaptisé son groupe de musique « Ravage » par « Ravage And The Priest » (suivez les initiales !) il m’en voulait encore. Cependant, la musique, sa beauté, son harmonie, nous unissait. Elle créait une complicité entre nous.

Tout naturellement, chaque répétition menait à un repas ensemble. Soir après soir, autour de la table, se créait une sorte de communion qui peu à peu finit par nous rapprocher tout à fait. Aujourd’hui on ne chante plus ensemble, mais je suis toujours le bienvenu à sa table.

Jésus, lui ne chante sans doute pas. Mais il enchante. Les foules sont restées là à l’écouter très tard. Elles communient à ses paroles. Mais il manque quelque chose. Tout ce monde, debout, qui fixe Jésus de loin, c’est un peu juste. Car personne ne se soucie vraiment de son voisin, captivé par l’enseignement du maître. Ils communient avec lui, mais est-ce qu’ils communient entre eux ? Il n’y a que les disciples qui s’en inquiètent. Peut-être que ces gens ont faim ? Mais on se demande si leur préoccupation ne vient pas d’une crainte. Une foule affamée, c’est menaçant.

Alors Jésus dévoile son plan.  « Donnez-leur à manger ! » C’est-à-dire, préoccupez-vous vraiment de cette foule plutôt que de chercher à vous en débarrasser. « Voyez, depuis ce matin que je leur parle j’ai préparé leur cœur à cet instant suprême. Tout ce que j’ai dit, c’était pour les mener jusqu’à ce repas. » Pour que vous compreniez que ma parole est une vraie nourriture.

Jésus prend les choses en main.

Le peu qu’ils ont, pain et poisson, les apôtres lui donnent, abandonnant ainsi leur dernière sécurité. Mais remettre ce que l’on a dans les mains du Christ, ce n’est pas se déposséder. Ce n’est pas non plus fuir ses responsabilités. Au contraire. Les mains vides les apôtres sont maintenant plus libres. Ils sont agiles à organiser la multitude, à la faire asseoir. Eux qui tout à l’heure se tenaient à distance de la foule inquiétante, les voilà qui la traversent, qui l’apprivoisent, et qui l’aiment. Ils discutent, ils rassurent, ils créent du lien, des petits groupes, de la communion. Travaillée en tous ses par les apôtres empressés la masse tout à l’heure anonyme prend corps, parce que nul n’est plus étranger pour l’autre.

Voilà qui est clair. De nos jours, nous pouvons facilement nous dire : l’Eglise s’étiole, ou carrément s’effondre. Et l’on se décourage. Nous n’avons plus les moyens, nous n’avons plus les ressources. A force de compter et de recompter le peu de pain et de poissons dont nous disposons, on finit parfois par ne plus voir la foule à côté de nous. Ou bien on pense que ce que nous avons n’est pas assez bon pour eux, qu’ils se débrouilleront autrement. Or, c’est faux. C’est faire le jeu du Mauvais que de penser que nous n’avons rien à dire au monde qui se perd dans le désert de nos sociétés sans Dieu.

C’est partir perdant d’avance que de jeter l’opprobre sur toute tentative d’organisation de ces foules en quête de sens, en se disant que l’Eglise est une institution dépassée, qu’on n’a pas besoin d’elle, qu’on peut parler de Dieu comme ça, que ça suffit. C’est lâcher et Dieu et la foule que de vouloir manger entre soi le peu de pain qui nous reste, sans le faire passer dans les mains du sauveur, pour le distribuer autour de nous.

Alors : à table. C’est l’été et les occasions de manquent pas. De faire du bien autour de soi, donner de son temps, offrir l’hospitalité, la convivialité autour nous. Il n’y a jamais rien d’anodin dans un repas, pas plus que dans une répétition de rock.

En vérité l’Eglise a toujours cherché à répondre aux légitimes faims humaines : faim de pain, mais aussi de justice, de solidarité et même de beauté. Mais l’Eglise n’oublie jamais que derrière toutes ces soifs se cache une soif plus grande encore, la soif de Dieu. Donner faim de Dieu au monde, en répondant à ses faims terrestres, voilà une belle mission. Susciter la soif de Dieu en étanchant la soif des hommes.

Heureux sommes-nous frères et sœurs, si nous donnons faim, creusant en celui que nous nourrirons un désir plus vaste encore. Parce qu’il n’y a pas de joie plus grande que d’être comblé par Dieu lui-même.

Références bibliques : Gn 14, 18-20 ; Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17

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