Toutes et tous, nous sommes nés pour aimer et être aimés. Si cette dimension est essentielle, voire existentielle, notre langue française est pourtant bien pauvre pour en parler. Nous n’avons qu’un seul verbe pour l’exprimer. Or, en grec, dans le texte original des lectures que nous venons d’entendre, il y a bien deux verbes distincts. Lorsque le Christ nous convie à donner notre vie pour nos amis, l’évangéliste Jean utilise un verbe bien particulier : « philein », aimer d’amitié. Cette forme d’amour se manifeste au niveau de notre cœur. Nous sommes envahis par de nobles sentiments qui, au fil des rencontres, se sont confirmés, enrichis et ont ainsi donné naissance à un présent toujours apaisant. Quoi de plus normal puisque, par l’amour d’amitié, nous sommes sur la même longueur d’ondes, celle du cœur. Au long des années écoulées, nous avons ainsi appris à rester ouvert à son altérité, à nous compléter de ses différences. Dans l’amour d’amitié, nous nous découvrons plus vivants, plus forts, reconnus dans notre singularité. Nous nous enrichissons l’un l’autre parce qu’il n’y a pas « de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis », c’est-à-dire de pouvoir déposer son cœur dans l’écrin du cœur de l’être aimé. Dans la fidélité des sentiments partagés, nous découvrons que l’amitié est une vertu qui se vit de sincérité et se nourrit de vérité. Ces rencontres-là sont toujours teintées d’une sensibilité à la faiblesse de l’autre, à sa fragilité ou à sa vulnérabilité, une forme de tendresse enluminée d’empathie et de compassion. La tendresse, ce sont finalement deux faiblesses qui se reconnaissent mutuellement et entrent en résonance nous chante le poète. Nous nous laissons toucher par l’autre, tout vulnérables que nous sommes. Ce qui nous bouleverse dans l’amour d’amitié, c’est cette acceptation de la beauté d’une fragilité fondamentale, mieux encore cette manière unique, absolument inouïe, d’être et de se livrer. Pour ce faire, il nous suffit de ne jamais considérer l’autre comme un terrain conquis mais plutôt comme un horizon à contempler. Nous n’avons aucun droit sur son amour. L’amour est toujours un don, jamais un dû. En d’autres termes, l’amour d’amitié est un cadeau tellement merveilleux qu’il se multiplie en se partageant. En ce sens, « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Par l’amour d’amitié, nous guérissons mutuellement nos blessures intérieures. Nous sommes devenus l’un pour l’autre des philothérapeutes, des hommes et des femmes qui prennent soin de l’autre par l’amitié. Voilà la philothérapie : aimer en tendresse et en vérité.

Pouvons-nous aimer tout le monde avec une telle intensité ? Non, je ne le pense pas. D’ailleurs, lorsque le Christ nous demande de « nous aimer les uns les autres », un autre verbe grec est utilisé : « agapan », aimer d’agapè, aimer de respect. Dans cette forme d’amour, nous sommes conviés à nous respecter les uns les autres et à reconnaître en chaque être humain la part divine qui vit en lui. Respecter celles et ceux de qui nous nous faisons proche, aimer d’agapè, c’est leur souhaiter de trouver, de retrouver en eux le meilleur d’eux-mêmes ; c’est toujours chercher à leur vouloir du bien alors qu’ils auront parfois pu nous blesser. C’est précisément cela qui rend crédible l’amour des ennemis, un amour impartial à l’image de Dieu tel qui nous a été présenté dans la première lecture. En ce sens, l’amour d’agapè est à la portée de tous. Il demande un acte de la volonté et est le fondement nécessaire à toute relation pour que ce respect en soit le ciment. Nous devenons cette fois l’un pour l’autre des agapothérapeutes, des hommes et des femmes qui prennent soin de l’autre par le respect et par une bienveillance imprégnée de cette douceur et de cette tendresse divine. Celle-ci vient mettre du baume sur les plaies de nos souffrances humaines et invite chacune et chacun à accomplir sa destinée. Voilà l’agapothérapie : aimer de respect et de bienveillance.

Dans nos hôpitaux et dans tous ces lieux où la vocation première est de prendre soin les uns des autres, c’est ce que nous cherchons à vivre en tendresse et en vérité. L’agapothérapie et la philothérapie ne demandent pas de longues années d’études, juste une disposition des cœurs. Toutes et tous, nous sommes appelés à être les uns pour les autres de tels thérapeutes : « aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu », nous dit la première lettre de saint Jean. S’il en est vraiment ainsi, alors, avec un tel commandement, en Dieu, il n’y a plus de chemin vers le bonheur, le bonheur est le chemin : celui de l’amour de l’autre par le Tout-Autre.

Amen

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